L’hiver au Québec fut long et rempli de surprises et rebondissements autant dans ma vie personnelle que créative.
Le 21 janvier dernier, je tournais le vidéoclip de la version francophone de la chanson Beautiful du projet Hippocampe dans un froid incroyable; le 11 février je lançais nerveusement la campagne de sociofinancement « The Hippocampus Project » sous la plate forme Indiegogo; en mars, sans attentes, je déposais une demande au Conseil des arts du Canada; le 18 avril, j'ai été confrontée à la mort quand ma mère était hospitalisée. Finalement, il y eut plus d’inquiétudes que de mal si j’ exclus le fait que la vieillesse est un de ces maux difficiles à accepter.
Enfin, ce qui m’amène ici aujourd’hui c’est d’avoir osé traverser mes océans de peurs pour rencontrer d’autres femmes engagées et déterminées à faire de leurs traumatismes une oeuvre humaine. C’était lors de l’événement « Justice à l’ère du #MoiAussi » organisé par l’R des centres de femmes du Québec .
Durant ces deux jours, j’ai réalisé que je n’en finissais pas de renaître. Après avoir été nié dans mon existence, mon identité, et avoir été réduite au rang de chose j’ai fait l’expérience de l’abandon dans l’effroi, comme elles. Comme elles, j’ai aussi eu besoin de temps, beaucoup de temps, pour puiser au fond de moi-même ce qu’il restait de vie.
Au Canada, il y a une agression sexuelle toutes les 17 minutes. Près de 85 % des victimes connaissent leur ou leurs agresseurs et puis 15 % des autres victimes ont été des proies choisies au hasard par des purs étrangers. Un petit nombre d’entre elles sont tombées sous les griffes d’un prédateur sexuel récidiviste. J’en fais partie.
Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, tout n’est pas si simple pour la victime d’un prédateur connu et médiatisé. Dans mon cas, j'ai été propulsée bien malgré moi dans l’inhumanité des jeux de la cour criminelle. L’accompagnement y a été insuffisant, la reconnaissance et le soutien absents et ce fut plus que douloureux. Enfin, j'ai été stigmatisée de la même manière que les Courageuses de notre monde, les Guylaine Lebreux ou les Mélanie Lemay, non pas juste par les institutions qui étaient là pour supposément m'aider, mais aussi par certains de mes proches, ceux dont j'avais tant besoin.
Malgré un dossier en cour criminelle étoffé, médiatisé, blindé et mes blessures sans équivoque, les systèmes en place m'ont laissé tomber, stigmatiser et 'revictimiser' dans ma survivance. Alors, que peut-on espérer en tant que société pour toutes les autres victimes dont l'histoire n'est ni médiatisée ni reconnue? Par où commencer?