C’était un 22 mai que je devenais mère tout en douceur pour la première fois. Pur bonheur.
Ce bonheur et tous ces doux et parfaits moments passés avec mon fils, si courts fussent-ils, m’ont permis de survivre au pire jour de ma vie le 21 juillet suivant. C’est alors que tout mon univers a basculé pour avoir croisé le chemin d’un prédateur sexuel récidiviste. Le trauma fut tel pour moi qu’il m’est même impossible encore aujourd’hui de comprendre cet état d’être de paix intérieure sans tâches d'avant l'événement. J’ai beau tenter de me souvenir, c’est une réalité devenue inaccessible. Mon corps en a fait le deuil, mais heureusement que je crois aux miracles, cela me porte.
Vous allez sûrement vous questionner, mais je dois vous dire qu’il me fut tout autant douloureux d’atterrir en tant que survivante dans une société remplie de tabous et d’ignorance. Le silence fut mon nouveau calvaire, mais aussi celui de mon fils. Comment survivre et apprendre à vivre dans l’omerta et la banalisation de la violence que j’avais subie? Mais, téméraire comme je suis, je n’abandonnerai pas bien qu’il y eut des passages de vie extrêmement dramatiques et où j’avais l’impression que je devais en finir avec la vie tellement la souffrance était profonde.
Un jour, après avoir désertée politique, activisme et musique, je tombe sur le livre de Véronique Cormon, Viol et renaissance. Un nouveau souffle de vie se fait sentir et je saisis enfin l’importance de partager coûte que coûte. Il faut que la société change et cesse d’être aussi apathique à la cause des survivantes et des survivants.
Les écrits de la psychiatre et activiste Muriel Salmona m’inspireront tout autant que le livre de Véronique Cormon. Ils me montreront les chemins à emprunter et me permettront de normaliser ma réalité. Je commencerai ainsi à être dans la capacité de composer des musiques. Suivra la naissance d’une métaphore, celle entre les hippocampes et les survivantes et je commencerai à guérir.
Comment une femme victime de viol peut-elle témoigner de la réalité du traumatisme qu’elle a traversé ? Le viol est un acte criminel, une torture à caractère sexuel mais il est avant tout une tentative de mise à mort, un essai de meurtre. C’est une violence majeure en direction de la vie et la victime perçoit cette atteinte à l’essence même de son être. La personne est niée dans son identité car elle est niée dans sa parole, dans son refus, dans son désir. L’espace et le temps sont confondus dans cet instant qui laissera place à une désorientation et à perte de repères. Il n’y a qu’asservissement à la violence toute-puissante du tortionnaire. C’est l’effroi qui désigne au plus près ce que ressent la victime en étant ainsi confrontée à l’innommable de cette rencontre avec la mort, avec le néant. Le traumatisme n’est pas seulement une confrontation avec une menace vitale, la victime se voit morte. La mort s’est imposé à elle comme un réel qui la laisse pétrifiée, sans mouvement et sans parole. Véronique Cormon
Quand quelqu’un est en présence d’un danger, son amygdale cérébrale – l’organe du cerveau responsable des émotions – est à l’origine d’une réponse émotionnelle par une production d’adrénaline et de cortisol destinée à préparer l’organisme à fuir le danger. Cette alarme est modulée en fonction du besoin. Et le cortex l’éteint une fois que le danger est passé : très rapidement, on peut évoquer l’événement sans en revivre l’émotion. Dans le cadre de violences, ce mécanisme ne fonctionne plus. L’amygdale se déclenche, mais le cortex est sidéré et ne peut plus la moduler. C’est visible sur une IRM. Vous pensez alors que l’autre va vous tuer. Et que vous allez mourir et cela peut être vrai tant votre cœur s’emballe. D’autant qu’à haute dose, le cortisol peut s’avérer nocif pour les neurones. Le cerveau joue alors son joker : il fait disjoncter le circuit émotionnel en délivrant un cocktail de morphine et d’un produit similaire à la kétamine. L’amygdale est inondée par ces drogues et la tempête émotionnelle disparaît. Une dissociation s’opère et le corps ne ressent plus rien. Vous êtes alors comme déconnecté de la situation, que vous vivez comme spectateur, comme si vous la suiviez à la télévision. L’amygdale se déconnecte aussi de l’hippocampe – la structure du cerveau qui joue un rôle central dans la mémoire et la navigation spatiale –, qui donne les repères spatio-temporels, et tout devient confus en termes de chronologie. À ce sujet, Nafissatou Diallo a donné des versions contradictoires des faits. Cela s’est retourné contre elle, alors que cela pourrait justement être une preuve du choc qu’elle a vécu.
"Plus de 90% des alcooliques et des toxicomanes ont vécu des violences graves"
L’hippocampe sert aussi de logiciel de mémoire. Lorsque l’amygdale en est déconnectée, la mémoire y reste piégée, en l’état. Le moindre lien avec l’événement la réveille et provoque la même douleur, la même détresse émotionnelle, le même stress monstrueux. C’est ce qui est à l’origine du choc traumatique, les personnes sont condamnées à revivre l’événement. Muriel Salmona