On en parle de plus en plus, les conséquences normales d’un viol sont atroces et entrainent une souffrance psychique très importante, ça vous le savez Madame Ouimet.
Les chemins vers la survivance sont plus ou moins longs selon nos prédispositions, mais directement proportionnels au manque de soutiens, aux préjugés et fausses croyances de notre entourage et de la société en générale. Ça aussi vous le savez madame Ouimet.
Dans mon cas, cela aura pris des décennies avant que je ne puisse commencer à ressentir ma capacité à renaître à cause notamment de la culture du viol et de la culture du déni. Mais cette réalité, madame Ouimet, la mienne, vous ne la connaissez pas.
Je n’ai plus vingt ans et Ariane pourrait être ma fille. Moi aussi j’ai travaillé dans des milieux austères aux femmes, dont le show-business. J’ai été au Québec une des premières au front à porter une guitare électrique au lieu d’une sacoche. Vous ne m’endormirez donc pas avec vos références historiques et mon manque de perspective, j’en ai toute une.
Dans ma survivance, j’ai vécu la culture du viol au quotidien et entendu de la bouche de beaucoup trop de québécois: "reviens-en, tu ne veux pas te guérir, ça t’appartient, tu exagères". Et pourtant, savez-vous qu’ il n’y a rien d’ambigu à ma situation ou ma rechute et le stress post-traumatique dont je souffre? J’ai même un chien de service prescrit par mon médecin. Pourquoi? Après mon accouchement et avec un bébé de moins de deux mois, j’ai été séquestrée, volée, menacée de mort et violée par un prédateur sexuel récidiviste lors d’un de ses nombreux cambriolages, en plein jour et dans un commerce de la rue Saint-Denis. C’était durant son évasion de prison de quarante-huit heures en 1986. Un délinquant grave, son nom est Jacques Groleau. Il purgeait déjà une peine pour des viols et des vols à main armée. Ensuite, une fois sa sentence terminée, il est ressorti et a recommencé. Par conséquent, je suis tombée plus bas le voyant refaire les manchettes des journaux. Mes souffrances étaient ravivées. Et puis, plusieurs ont encore eu l’audace de me dire toutes ces choses qui appartiennent à la culture du viol et à nos préjugés bien québécois. C’était en 2011.
Êtes-vous familières avec la culture du déni, madame Ouimet? Si vous ne la connaissez pas, je vous invite à lire la psychiatre et activiste Muriel Salmona. J’ose espérer que ses explications et écrits vous aideront à vous éloigner de vos croyances et ainsi vous permettre de réaliser que la culture du viol est bien vivante même au Québec. Je suis de celles qui croient que l’expression culture du viol a évolué depuis sa naissance avec le courant féministe des années 70. Les mots et les expressions évoluent aussi, madame Ouimet, pas juste les gens.
Enfin, le fossé générationnel dont vous parlez, je ne le ressens pas ce qui m’amène à vous demander : avez-vous été violée? Peut-être que si vous l’aviez été vous ne le ressentiriez pas ce fossé? Et si vous avez été victime et que vous avez choisi de ne pas en parler, c’est peut-être à cause de cette culture dont vous niez l’existence au Québec.
Alors, je crois sincèrement qu'au lieu de ne pas être à l’écoute des jeunes et moins jeunes qui se battent contre cette culture et la vivent, vous devriez les croire et sortir du déni.