Lundi soir, j’assistais au spectacle-bénéfice Friends for Lulu et où s’est déferlée une vague d’amour incroyable pour soutenir la chanteuse Lulu Hughes dans sa lutte contre le cancer. Et puis, j’ai voulu écrire sur un moment marquant de ma soirée. Une micro histoire.
D’abord, assister au spectacle pour Lulu accompagnée de mon berger allemand de service, Ophelia, m’a rendue tout aussi heureuse qu’anxieuse. J’avais peur d’être jugée pour revenir dans mon monde après tant d’années à vivre en retrait et diminuée. J’avais honte et j’avais peur même si l’histoire de mon viol est loin d’être banale et que je sais que rien n’est de ma faute.
Celui qui m’a violée lorsque je venais de donner naissance à mon premier fils est un prédateur sexuel récidiviste qui a fait trois générations de victimes. Il m’a séquestrée et violée en plein midi lors d’un cambriolage sur la rue Saint-Denis. Il venait de s’évader de prison la veille où il y purgeait une peine pour viol et qu’il suivait depuis cinq années un programme de réhabilitation pour délinquants sexuels. À sa deuxième sentence et pour sa deuxième vague de victimes dont je faisais partie, il a écopé de 15 années de prison.. Il a été détenu deux années de plus pour avoir été vilain avec le personnel féminin des établissements de détention. Il est sorti 17 ans plus tard après avoir suivi tous les programmes de réhabilitation pour les délinquants sexuels. Et puis, il a recommencé et fait une troisième génération de victimes que j’ai rencontrées lors de la troisième sentence de Jacques Groleau le 15 novembre 2011.
Donc, au Club Soda et au début de la soirée, une question générique, mais pleine de sens, est venue me foudroyer, celle que Guy A. Lepage. En me fixant dans les yeux il m’a demandé, 'toi, est-ce que ça va?'. Gênée et maladroite, j’ai d’abord été évasive. Il a donc posé sa question une deuxième fois, 'mais toi, est-ce que ça va?' Dieu qu’une question générique, mais sentie peut me confronter. Je voulais me sauver! je pense l’avoir presque fait.
Donc pour répondre honnêtement à ta question Guy A.
« Est-ce que je vais... »? Ça ressemble à quoi, être bien? Je n’ai plus de repères à part ce que je perçois des autres. Si j’ai un chien de service, c’est que ça ne va pas comme les autres. Et puis, si je vais, j’ai quand même honte du temps que j’ai laissé filé. Est-ce que j’ai le droit de me sentir bien après si longtemps? Est-ce que j’ai le droit de recommencer à m’entourer de ceux qui partagent les mêmes passions que moi après autant d’années d’absence vis-à-vis moi et les autres? Comment leur demander? Est-ce que j’ai le droit de faire revivre ma passion malgré mon âge? Ne serais-je pas devenue un imposteur? Est-ce que je vais?
Ça va mieux Guy A., mais pas tout à fait bien. Je vais mieux parce que j’ai osé briser mon silence et que pour cette raison tout est moins lourd. Je vais mieux parce que j’ai un chien de service qui me permet de me promener sans avoir peur. Je vais mieux parce que je fais à nouveau de la musique et que j’ai pris la décision de me réaliser coûte que coûte dans le dernier chapitre de ma vie. Je vais mieux parce que je m’accepte même si je ne suis plus tout à fait la même. Je vais mieux parce que j’ai une équipe incroyable qui m’assiste au Douglas. Je vais mieux parce que je croyais que la fille que j’étais jadis était morte, mais qu’à force de rencontrer les gens de mon passé comme tous ceux que j'ai rencontré lundi soir, une certaine magie s’opère, quelque chose renait en moi. Je vais mieux parce que je me donne à ma cause et que j’ai décidé d’en faire un projet d’album. Je vais mieux parce qu’en demandant de l’aide j’ai découvert beaucoup d’artistes humanistes et cela me porte.
Donc, Guy A. aujourd’hui je vais mieux qu’hier et je pense que j’irai encore mieux demain. Cependant, c’est une bataille de tous les jours parce que la culture du viol, la stigmatisation comme la 'revictimisation' sont bien vivantes chez nous.
Alors, merci à toi de m’avoir posé cette question Guy A., de m’avoir fait sentir que cela comptait. C’était certes une question générique, mais parce qu'elle était sentie, elle m’a permis de réfléchir à où j’en étais réellement.