Pour toi...
Les rumeurs de certains fourmillent et le silence des autres bourdonne à un point tel qu’ils violent ta foi en la race humaine. Impossible de passer une journée sans ressentir le poids de la tristesse que tu portes.
Chaque soir, tu t’assieds à la table réfectoire centenaire placée tout près des immenses fenêtres ancrées dans le mur ouest de ton sanctuaire. Comme une fugitive, tu tiens entre tes deux mains le combiné noir qui a mémorisé pour toi les numéros précieux de tes quelques amitiés. De longues minutes passent avant que tu ne sèches tes larmes qui roulent sur tes joues devenues si blanches et ternes que même un étranger peut y saisir ta souffrance habituellement invisible aux autres. L’aboutissement du silence et de la cruauté de certains, ainsi qu’une culture indifférente à ta réalité, peut-être...
Ton silence sait se faire entendre lorsque de temps à autre tu communiques avec ta plus fidèle amie pour révéler les raisons de ta tourmente. La dorure de sa voix chaude et rauque t’est si douce et enveloppante que tu oses déverrouiller ta boîte à souvenirs moroses et l’horreur de la perversité palpable de la race humaine. Ta voix tremblera et, malgré tout, tu raconteras dans les moindres détails la triste histoire de ta famille décimée par l’étroitesse d’esprit et l’ego déplacé de ces petits démons peints en rose.
Finalement, tes lèvres gercées murmureront aussi l’histoire de ces nuits passées à laisser s'exprimer l’amour charnel de ton mari pour éviter ses colères et réprimandes. Tu avais un devoir, n’est-ce pas? Enfin, pour ne pas tomber d’épuisement et de douleur face à la somme inexplicable de ces comportements haineux, pathogènes et à glacer le dos, et aussi pour ne pas perdre la tête, tu t’abandonneras dans les sables mouvants de ta survivance et retourneras sagement, mais à plat ventre, valser avec une ponctuelle et brève rémission...