Note : Voici mes notes biographiques que j’avais retirées il y a quelque temps et que j'ai finalement mises à jour. La raison derrière cette autocensure était simple, je me sentais honteuse et questionnait l’efficacité d’une telle démarche, de plus je réalisais à quel point il me restait des silences à briser. Un grand merci aux artistes et médias qui ont pris à cœur cette cause. Ce fut une inspiration. Merci aussi au courage contagieux de Lady Gaga. Sa démarche m’a éclairée et j’ai compris à quel point nos histoires peuvent devenir salvatrices pour les autres. Sans elle et les autres, mes paroles seraient restées inédites et mon projet artistique pour les survivantes et survivants, sur la tablette...
Premier mouvement
La danse joyeuse d’une iconoclaste
Artiste multidisciplinaire née à Montréal, j’ai vécu plusieurs vies. Survivante, j’ai sillonné des kilomètres en silence, puis en parole, pour enfin retrouver ma voix.
Enfant issue d’une mère pianiste, j’apprends à lire les notes de musique avant les mots. Adolescente, je transgresse les interdits avec plaisir pour déjouer le sort d’une « fille de bonne famille ». Je termine première de mon collège en guitare classique, mais j’ai besoin d’aventures. Je migre vers les sciences humaines et le Rock’n Roll.
Motos, communes, guitare, tournées, travail de mannequin, amours et études en musique à l’Université de Montréal forment les méandres de mon quotidien. Rien ne m’effraie, l’avenir promet.
C’est à la guitare basse que je fais mes premières armes sur une scène « rock ». Patrick Bourgeois, qui deviendra célèbre avec son groupe les BB, me donne cette chance.
Et puis, une occasion tant espérée se pointe. Je m’allie à mes trois amies d’enfance et la version féminine du groupe alternatif Blue Oil voit le jour. Après le départ d’un des membres de la formation, j’assume le rôle de guitariste solo. Audacieuses, nous nous faisons vite remarquer.
Nous participons à quelques émissions de variétés, présentons plusieurs centaines de spectacles, enregistrons un 45 tours et l'indicatif musical du documentaire de Nicole Giguère « On fait toutes du show-business ». Je livre ma dernière prestation au Club Soda avant de quitter mon groupe d’amies devenues jeunes femmes.
Je donne naissance à mon premier fils.
Jeune adolescente et jeune adulte je travaillais comme mannequin tout en jouant de la guitare pour mon groupe de filles. La vie était magique, agréable.
J'étais prête à conquérir le monde.
Deuxième mouvement
La valse piégée
Deux mois après mon accouchement, au cœur de mon quartier, le Plateau Mont-Royal, je deviens la proie d’un prédateur sexuel récidiviste. J’assiste à ma mise à mort pendant que de l’autre côté des vitres du commerce, un soleil d’été plonge sur la rue Saint-Denis qui elle, déborde de vie.
L’hiver venu, envers et contre tout, je fonce à la faculté de musique. Désorientée, je n’entends plus les cadences. Tout ce qui était n’est plus. J’abandonne.
Commence alors une bataille de trois ans contre la direction de l’ I.V.A.C. chargée d’appliquer la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels. L’aide à laquelle j’ai droit ne m’est pas accordée....
À huit mois de grossesse, je me déplaçais toujours avec mon Peugeot rouge. D'ailleurs j'étais bien plus inquiète de me faire voler mon vélo plus que toute autre chose. Rien ne pouvait m'arriver. J'étais forte et remplie d'audace.
Ce ne sera jamais plus pareil. Mais qu'est-ce que cela veut dire? Pour être brève cela veut dire tristesse, peur, douleur physique et psychologique, paralysies, perte de mémoire et atterrir dans une société complètement apathique à ma réalité. Être sans voix, n'avoir aucune aide.
Troisième mouvement
La chaconne
Coûte que coûte, j’entreprends de nouveaux projets. Avec « Sense of Doubt » et une démo solide, je me rends, avec ma chanteuse et collaboratrice Elana Harte, aux bureaux de Geffen Records, en Californie. De Montréal, Jane McGarrigle démontre de l’intérêt pour mon travail. Suivent quelques spectacles et l’enregistrement d’une nouvelle maquette avec la participation de Jean-François Lemieux à la guitare basse et de Johanne Blondin à la batterie. Glen Robinson assure la production.
À cela, s’ajoutent des cours de Bel Canto qui me permettent d’assumer le rôle de chanteuse et de guitariste au sein de « Cloak and Dagger ». Un album est lancé à l’automne 1996 : Grey Zone.
Et puis, à coups de marteau, de peurs et de courage, je bâtis ma maison. Ce projet s’impose avec la naissance de mon deuxième fils et l'environnement de calme, en apparence, que cela me procure. Le développement de l’entreprise familiale Martin Roy et associés, firme en génie bioclimatique, devient ainsi une priorité et un grand défi à relever.
En 2002, l’action citoyenne m'aide à renouer avec le monde. Je mets sur pied, à titre de cofondatrice, le Comité des citoyens de Deux-Montagnes que je préside jusqu’en 2005.
En 2004, invitée par Daniel Breton à devenir membre de son conseil exécutif, je participe à la création de la Coalition Québec-Vert-Kyoto.
En 2005, ayant remarqué mes réalisatons faisant la promotion d’une « vision verte », la Ville de Deux-Montagnes m’invite à siéger au comité consultatif d’urbanisme.
En 2008, je deviens membre du conseil d’administration et du comité exécutif de la Fondation Rivières. Je milite aussi pour le Parti vert du Canada. Candidate à trois élections, je suis nommée Représentante du Québec au conseil fédéral.
Durant cette dernière tranche de vie, mes guitares demeurent suspendues aux murs, muettes. Seul le vent qui souffle à l’intérieur des rosaces réussit à faire bourdonner mes instruments acoustiques. Ma Gibson, elle, reste avare de paroles, déconnectée.
Toute tâche me demandait énormément d’énergie, mais je n’avais jamais peur d’en déployer pour mener un projet à terme. J’ai passé bien des nuits blanches à travailler pour y arriver. Difficile quand avant de faire face à ma propre mort, j’avais l’habitude d’être en avant du peloton. Les quelques projets artistiques que j’ai menés m’ont permis de garder toute ma tête. Cette photo fut prise durant le tournage du vidéoclip « I Don't Remember Your Name, Only Your Smell » en 1998.
Travailler en environnement a été une étape cruciale dans ma renaissance dont une expérience formidable avec les gens de la Fondation Rivières. Ce n’est que dans mon histoire récente que j’ai trouvé la force pour m’engager dans la cause qui me tenait le plus à cœur : les violences sexuelles envers les femmes.
Quatrième mouvement
Le Boléro
En 2006, je choisis de braver le temps et ma fragilité, je décroche une première guitare.
En 2007, j’entreprends des démarches visant à voir mon agresseur déclaré délinquant dangereux, mais on le libère. Dans l’actualité, ses nouveaux crimes font couler beaucoup d’encre. Ma condition de stress post-traumatique, une bombe à retardement, se manifeste, mais pas question d'abandonner cette bataille qui semble avoir durée toute une vie.
En 2009, je m’inscris au prestigieux « Berklee College of Music », Berklee Online. Point marquant, vertige ou pas, une nouvelle vie s’amorce.
En 2010, je reçois le « Steve Vai Celebrity Scholarship ». Cela ne signifie pas que je suis une virtuose, mais simplement une élève engagée à parfaire cet art que j’ai fait mien.
Et puis, quelques mois plus tard, je revois mon agresseur, enchaîné, à assister à ce que j’espère être le prononcé de sa dernière sentence. Il a fait au moins cinq nouvelles victimes.
Enfin, la même année, et ce malgré mon besoin criant d'être soutenue dans ma démarche, mon complice de vie me quitte. Nouvel écueil. Hors de question cette fois d’être emportée par la tempête. De retour sur la scène de ma propre vie, je demande la réouverture de mon dossier auprès de l’ I.V.A.C. Cette fois, j’obtiens l’aide sollicitée.
Je prendrai le temps qu’il faut.
Oui, j'ai un chien de service!
Il m'est précieux de partager ma passion de la musique et mon histoire avec mes fils. Ni eux et ni moi ne devrions avoir honte de ma différence et mon cœur sait qu'un jour ils pourront, en tant qu'hommes et avec leur conscience, contribuer à mettre fin à la culture du viol.
ll me reste bien des défis à relever dont celui de persévérer dans mes études pour obtenir mes baccalauréats en Music Business et Songwriting avec le Berklee College of Music Online. Cette étape est d’autant plus significative puisque j’ai dû abandonner mon baccalauréat en musique à l’Université de Montréal après avoir été séquestrée et violentée par ce prédateur sexuel récidiviste. Enfin, je me dois de rester engagée dans mon art et la cause des violences sexuelles. Je brise mon silence et je sens enfin une partie du monde prête à écouter.
Coda
La 9e
Convaincue que le changement est une question de responsabilité individuelle et collective, je puise dans mes expériences de vie et mes traumatismes pour réaliser les projets qui me tiennent à cœur.
Je poursuis mes études afin d'obtenir mon Baccalauréat en Songwriting avec le Berklee College of Music Online.
Et pour que la survivance résonne au-delà de ma propre expérience, avec un collectif d’artistes, je suis à composer un album sur le viol et la survivance. Un projet d’art interdisciplinaire qui a l’ultime objectif de sensibiliser contre les violences sexuelles et leurs conséquences sur la vie des survivants : « La grande question hippocampique »
Ma démarche reste engagée et intimement liée à mon expérience vitale.
Merci à mes amis et ma famille pour leur précieux commentaires et leur écoute. Merci en particulier à Sylvaine, Vincent, Marie-Chritine, Anne-Martine. Merci à Dany Brouillette pour la révision et à Stéphanie Amesse, Nicole Giguère, Michel Paul, Daniel Desmarais et Andrée Martin pour leurs photos.
Merci aussi à ces femmes qui ne me connaissent pas, mais qui de par leurs précieux écrits ont nourri de manière importante mon cheminement. Sans elles je ne serais jamais sortie de ma honte et de mon enfer. Je pense notamment à Véronique Cormon avec son livre Viol et renaissance et de Muriel Salmona avec ses ouvrages multiples et son travail magistral avec l'organisme Mémoire traumatique et victimologie