Photo: JoséeB
Je suis morte un 21 juillet 1986, je m’en rappelle très bien. Il faisait chaud ce jour-là, il faisait beau et j’étais une nouvelle maman depuis presque deux mois. Une belle journée pour mourir n’est-ce pas?
Ce jour-là, ce n’est pas seulement mon innocence qui est morte, c’est ma vie entière qui s’est éteinte. Depuis, je fais le deuil d’une vie que je n’ai pas connu, mais que j’aurais dû vivre. Je ne saurais jamais qui je serais devenue sans ce viol tant tout a basculé ce jour-là.
Bien qu’incroyable que cela puisse paraître, le plus difficile ce n’est pas de subir les violences du viol. Le plus difficile c’est de tenter de se reconstruire.
Pendant des années, je n’arrivais plus à agir pour moi parce que le « moi » n’existait plus. C’était comme si j’étais étrangère à ma vie, immobile devant un téléviseur à regarder mon existence défiler sur un écran sans que je ne puisse rien décider.
C’est la musique qui, petit à petit, m’a permis de me reconnecter au sens du moi et de mon corps. Elle fut et continue d’être un moyen extraordinaire pour me réapproprier mon histoire, ne plus la subir, en devenir l’auteure, la metteuse en scène, l’actrice et voire même la productrice. Je choisis ce que je crée, je choisis ce que je transforme et je choisis ce que je donne à voir.
Alors pour l’année 2020, j’aimerais dire à toutes celles qui sont passées par ce calvaire ou le vivent encore, puissiez vous avoir le soutien nécessaire pour trouver votre chemin de reconstruction. Fuyez les milieux toxiques à votre survivance. Fuyez les gens dont les croyances, l’ignorance et les comportements contribuent à maintenir en place vos blessures.
La justice n’est pas essentielle à votre guérison.
La justice n’ est qu’un facilitateur de guérison de par sa nature à reconnaitre ce qui a été. Cependant, elle n'est pas là pour nous accompagner pendant et après. C'est comme ça. Il faut être solide pour vivre avec la douleur et l'incompréhension de la voir déployer des moyens extraordinaires pour « guérir » nos bourreaux pendant que nous devons nous mettre à genou devant les exigences de l’IVAC pour avoir un peu d’aide... peut-être!
Alors, en 2020, même si vous avez l’impression que le mouvement #metoo #moiaussi se dégonfle, n’abandonnez pas. Il faut continuer de briser nos silences. Il y a encore des tribunes pour le faire.
Mais, pouvons-nous guérir d’un viol?
Si guérir veut dire faire disparaître la souffrance, l’éliminer complètement, la réponse est non. Une dure réalité.
Le viol est une des pires souffrances qu’un être humain peut subir. Nous savons que les handicaps qui en résultent ne disparaîtront pas tous. Cependant, en prenant soin de nous et en nous entourant des bonnes personnes et de compassion pour nous-mêmes, nous pouvons apprendre à être en paix avec nos nouvelles limites, nos handicaps.
Retrouver un certain bonheur à être soi, c’est possible.